Rapport du médecin
:
C1709
Je soussigné Docteur Régent du Ludovicée de médecine de Montpellier, certifie m’être transporté le deux janvier mil sept cent soixante-quinze avec Roch Moreau, chirurgien du roi, dans les villages d’Estissac, Mesnil St Loup, Faux et Villadin, sur la réquisition qui m’en a été faite par M Paillot, subdélégué de Troyes qui, ayant été informé qu’un loup ayant attaqué et blessé plusieurs personnes dans ces villages, m’a prié d’aller visiter leurs blessures, d’indiquer les remèdes nécessaires, et d’en dresser un procès-verbal.
VILLADIN
1) Ayant examiné à Villadin le nommé Jacques Guenina, ouvrier, âgé de 30 ans, nous lui avons trouvé du côté droit une plaie d’un pouce de long sur le muscle masséter, une autre demi-circulaire sur l’angle de la mâchoire inférieure, plus la deuxième dent molaire de la mâchoire supérieure luxée et une 3ème plaie de 2 pouces de long qui commence à la commissure des lèvres et se termine à la base de la mâchoire inférieure. Nous avons compté sur la main gauche dix blessures légères et la partie supérieure du muscle du pouce entièrement découverte.
2) Nous avons observé chez Claude Vincent, berger âgé de 20 ans une plaie d’un demi-pouce de longueur à la partie antérieure inférieure de l’avant-bras droit, deux impressions de dents un peu au-dessus, une autre plaie triangulaire sur le dos de la main et huit impressions de dents. Tous les doigts de la main maltraités, particulièrement le médius dont l’os de la seconde phalange à découvert. Toutes ces blessures sont du côté droit. Nous avons trouvé vers le milieu du bras gauche une impression de dents à la partie antérieure et deux autres à la partie opposée. Sur l’avant-bras antérieurement une plaie d’un pouce de longueur et cinq trous de deux lignes de profondeur à la partie opposée. Sur la cuisse gauche, un peu au-dessus du genou, deux trous opposés, enfin sur la partie latérale droite du col une légère contusion. Partie des plaies sont en suppuration, les autres sont cicatrisées. Cet homme rêve la nuit, s’éveille fréquemment en sursaut, sent du frisson, dans le bras droit son pouls est irrégulier.
3) Claude (sic) Vincent, âgé de 15 ans, frère du berger, a de chaque côté du bras droit un trou de trois lignes de largeur sur autant de profondeur, plusieurs légères contusions sur la lèvre supérieure.
4) Jérôme Douine, manouvrier âgé de 40 ans a sur la dos de la main gauche 2 plaies transversales et une impression de dent. Les deux plaies suppurent.
FAUX
5) Nous avons visité à Faux Pierre Bourgi (sic), milicien âgé de 34 ans. Il a les téguments du menton emportés de la largeur d’une pièce de douze sols et sept impressions de dent sur le bras gauche. Il y en a une située antérieurement dont les bords sont enflammés et occasionne beaucoup de douleur. Cet homme a eu le frisson les trois premiers jours et de la fièvre tous les soirs. Il rêve beaucoup la nuit et s’éveille en sursaut.
MESNIL-SAINT-LOUP
6) Nous avons visité au Mesnil St-Loup Edme Paulin, maréchal âgé de 45 ans et lui avons trouvé tout le côté droit du visage massacré. Nous avons particulièrement observé une plaie de deux pouces qui divise le muscle buccinateur en deux portions, une autre d’un pouce qui divise la lèvre supérieure et forme un bec de lièvre et une autre qui divise pareillement la lèvre inférieure. Toutes ces plaies avaient été recousues avec une aiguille de tailleur et du fil noir, lequel n’ayant pas été ciré s’était pourri et les points de suture avaient manqué. Il y avait sur la tempe une plaie oblique d’un pouce de longueur et sur la paupière inférieure, du même côté une contusion faite par la griffe de l’animal ; les téguments du pouce emportés, quinze impressions de dents sur la main droit, deux autres sur l’avant-bras gauche.
7) La femme du dit Paulin a eu le doigt index de la main gauche cassé vers le milieu de la première phalange. Il ne tenait plus qu’à quelques portions de muscle que le chirurgien du lieu avait achevé de couper avant notre arrivée. Elle a en outre plusieurs marques de dents sur la main et une fièvre assez considérable.
8) L’enfant dudit Paulin, âgé de 13 ans, a une portion du cuir chevelu emporté, la moitié du pariétal droit, la fontanelle, le pariétal gauche, portion du temporal et l’occipital sont à découvert. Les ciseaux du chirurgien ont enlevé les lambeaux flottants des téguments. Nous avons encore remarqué une morsure sous l’aisselle du côté gauche, 3 impressions de dents sur le tendon du muscle pectoral. Une plaie d’un pouce et demie sur le dos de la main droite, et tous les doigts en très mauvais état. Il a une grande fièvre, est altéré, ses plaies lui font peu de mal, son sommeil est tranquille.
9) Pierre Bécard, âgé de 22 ans, a dessous le menton une plaie circulaire d’un pouce et demi de longueur plus une contusion à la base de la mâchoire inférieure, n’a point dormi les premiers jours, dort encore fort peu.
10) Reine Bourgi, âgée de 22 ans, a deux impressions de dents sur le moignon de l’épaule. Cette fille dort peu, se réveille en sursaut, le pouls faible, et par intervalles des mouvements convulsifs.
11) Jacques Huguenot, manouvrier âgé de 25 ans, une plaie d’un pouce et demi au-dessous de la clavicule du côté droit, deux incisions transversales sur les dessus et dessous le pouce, deux impressions de dents à la racine du doigt index.
12) Jean Laneret, laboureur âgé de 52 ans, deux morsures dessous l’aisselle du côté droit, une autre sur la clavicule et une portion du muscle peaucier découverte du côté droit. Sur l’articulation du pouce de la main gauche avec l’os du métacarpe nous avons observé deux plaies circulaires, et une autre transversale, sur le dos de la main. Cet homme a eu le frisson les premiers jours, dort peu, la plaie du col quoique cicatrisée est douloureuse.
13) Claude Laneret, laboureur âgé de 40 ans, a sur la joue gauche une plaie d’un pouce de longueur qui, partant de la commissure des lèvres, sépare la joue en deux portions, une impression de dents sur la lèvre supérieure, 3 autres sur le bras gauche et dix autres tant sur l’avant-bras que sur le dos de la main.
14) Jeanne Marnot, âgée de 50 ans, a sur la région lombaire du côté droit 2 trous peu profonds.
15) Marguerite Marnot, sa fille âgée de 20 ans, a sur le muscle pectoral du côté droit une plaie superficielle sèche d’environ 2 pouces d’étendue. Cette fille, depuis le jour de la blessure jusqu’à ce jour qui est le neuvième, a perdu le sommeil, sent du frisson le soir et a par intervalles des mouvements convulsifs.
16) Florentin Legrand, cabaretier âgé de 60 ans, a sur le col une égratignure faite par la patte de l’animal.
17) Jean Luyer, manouvrier, a été renversé. En tombant, s’est écorché la jambe sur le tibia, a sur le corps plusieurs contusions et l’animal, après l’avoir roulé pendant quelque temps et déchiré une partie de ses habits, s’est jeté sur son chapeau qu’il a percé en différents endroits.
ESTISSAC
18) Louis Cholet, manouvrier, a été attaqué sur le chemin du Mesnil à Estissac. Il a cinq trous assez profonds sur la partie antérieure du bras gauche, et trois à la partie opposée, dort peu, a eu le frisson, plusieurs faiblesses le lendemain de ses blessures et ressent une douleur sourde aux environs.
19) Jean Verger, charron âgé de 30 ans, sur le visage du côté droit deux plaies profondes pénétrantes dans la bouche et une autre sous le menton. Six trous de 4 lignes de profondeur sur la partie antérieure de l’avant-bras droit et une plaie transversale d’un pouce de longueur sur la partie opposée, des impressions de dents sans nombre sur le dos de la main gauche et sur tous les doigts particulièrement le petit doigt et le pouce. C’est cet homme qui, après s’être lutté (sic) contre l’animal et malgré toutes ses blessures, a encore eu la force de l’abattre, et de le tenir sous ses genoux la gueule ouverte l’espace d’une demi-heure jusqu’à ce qu’il lui fût arrivé du secours. Il était onze heures du soir.
PALIS
20) M le Curé de Pâlis et le sieur Portales, marchand de bois, ont été attaqués sur la route de Faux à Pâlis. Le sieur Portales a reçu une légère égratignure sur le col. Le curé n’a aucune blessure et cassé sa canne sur le dos de l’animal.
L’animal qui a fait tant de ravages en si peu de temps est une louve d’une taille moyenne qui sortit le 27 décembre des bois de Pouy distants d’une lieue de Villadin. L’homme n’a pas été le seul objet de sa fureur. On a trouvé le lendemain trois renards étranglés à la sortie du bois ; on lui a vu tuer deux chiens dans le village du Mesnil, elle en a saisi deux autres au col et les a blessés. Il ne paraît pas que cet animal ait été seulement poussé par la faim puisqu’il a laissé dans leur entier les victimes de sa fureur. Il a attaqué le berger de Villadin à côté de son troupeau sans toucher aux moutons. Faisant attention à la marche qu’a tenue cet animal et réfléchissant sur quelques symptômes que j’ai observés dans une partie des blessés et dont j’ai fait mention dans chaque article, je suis fondé à croire que cet animal était hydrophobe. L’ouverture de son cadavre aurait pu m’en fournir une preuve convaincante. Je l’ai fait déterrer dans cette intention ; mais les habitants d’Estissac l’avaient brûlé et il était desséché à un tel point qu’il eût été impossible de discerner rien de réel dans ses viscères.
Pour éviter les suites fâcheuses d’une maladie des plus affligeantes pour l’homme lorsqu’elle arrive à son dernier période (sic), j’ai jugé nécessaire d’employer les remèdes prophylactiques de l’hydrophobie. Pour cet effet, j’ai employé les frictions mercurielles autour des plaies, aidées de lotions d’huile camphrée. J’ai fait faire usage à quelques blessés d’une poudre antispasmodique composée de cinnabre et de musc, j’ai ordonné pour quelques autres un opiat antispasmodique et narcotique. Je suis convaincu que par l’usage exact de ces remèdes et l’attention que je pourrais y apporter, tous les blessés seront préservés des évènements funestes qu’il y a tout lieu de redouter. En foi de quoi, j’ai signé le présent procès-verbal. A Troyes, le neuf janvier mil sept cent soixante-quinze.
Thiésset
DMM